Loge maçonnique "René Guénon"

N° 76, Grande Loge Suisse Alpina, à l’Or.·. de Lausanne

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Principe PremierCet article est destiné à certains de nos FF.·. qui peuvent avoir du mal à comprendre la métaphysique.

La Métaphysique :

  • La métaphysique est une branche de la philosophie et de la théologie qui porte sur la recherche des causes, des premiers principes. Elle a aussi pour objet la connaissance de l'être absolu comme cause première, des causes de l'univers et de la nature de la matière. Elle s'attache aussi à étudier les problèmes de la connaissance, la nature de la réalité, de la vérité et de la liberté.
  • L'ontologie est une branche de la métaphysique qui étudie les propriétés de l'être d'une manière générale, telles que l'existence, la durée, le devenir. Le métaphysicien essaie également d'éclaircir les notions par lesquelles les gens comprennent le monde ; l'existence, l'objet, la propriété (d'une chose), l'existence ou le concept de Dieu, l'espace, le temps, la causalité, la possibilité.

 

Les états multiples de l'être

Dans cet ouvrage, paru en 1932, l'auteur René Guénon, développe une théorie expliquant comment, en s'appuyant sur les connaissances qu'il a acquises en pratiquant les traditions orientales, peut être conçu l'« être total ». Être total pour lequel l'« état humain » n'est qu'un état parmi une infinité d'autres qu'il aura à connaître avant de parvenir à la « liberté totale ». La théorie des états multiples de l'être est une donnée fondamentale de l'exposé de René Guénon, la plupart de ses autres ouvrages doctrinaux y font référence. Ce livre est une suite du Le symbolisme de la croix, où la théorie des états multiples est utilisée sans être développée pour elle-même. (Source : https://fr.wikipedia.org)

Dans cet ouvrage comme dans l'ensemble de son œuvre René Guénon emploie certains mots dans un sens précis qu'il a bien défini dans ses différents livres et qu'il est nécessaire de connaître pour éviter des contre-sens.

Vocabulaire :

  • Être : avec majuscule : l'Être est, dans un sens très général, le principe de la manifestation, ou le principe de l'Existence universelle. Ce sens métaphysique est à rapprocher en théologie à de la notion de Dieu comme « être suprême » : la relation entre l'Être (le principe) et l'Existence (sa manifestation) étant comparable à celle de Dieu et de la création.
  • Non-Être : l'Être, principe de la manifestation ou de l'Existence universelle (l'existence dans son sens le plus large, le plus général possible) ne représente pas la réalité ultime. À côté de la multitude des états d'existence, dont notre monde n'est qu'un exemple, il existe des états dépassant les conditions de l'Existence, ces états sont le domaine du Non-Être (ne concernant pas l'Être ou l'Existence). Le domaine du Non-Être est incommensurablement plus grand que celui de l'Existence : la relation de l'Être au Non-Être est celle de l'unité à l'Infini. Le Non-Être est le domaine par excellence de la métaphysique et des principes.
  • être : (sans la majuscule) « un être » fait référence aux formes vivantes peuplant notre monde corporel, que ce soit un organisme unicellulaire ou l'être humain, mais aussi à toutes les entités peuplant l'« indéfinité » des autres états de l'existence, tels les anges ou les démons.
  • être total : (sans majuscule) où comme dans le titre de l'ouvrage « Les états multiples de l'être ». Ici le mot courant « être » est utilisé comme symbole pour un concept métaphysique applicable au Non-Être où l'existence elle-même est dépassée. Pour R. Guénon, là où il n'existe plus aucun conditionnement, plus aucune forme (limitations propres à l'existence), le langage courant est démuni et ce genre d'extrapolation est nécessaire. Le qualificatif de « total », comme ailleurs ceux de « absolu » ou de « suprême » demande au lecteur de faire ce genre d'effort conceptuel.
  • Infini : toujours avec la majuscule quand il n'est pas qualifié comme il l'est dans « infini mathématique » (Guénon utilise les guillemets dans ce cas). Il n'existe qu'un seul Infini, c'est le « Tout universel, la « réalité absolue ». L'Infini apparait à la pensée humaine comme constitué du Non-Être et de l'Être, bien que le second soit inexistant au regard du premier. Incluant le principe de toute chose il ne peut rentrer en comparaison ou en rapport avec rien (« relation d'irréciprocité »). « l’Infini est proprement ce qui n’a pas de limites, car fini est évidemment synonyme de limité ; on ne peut donc sans abus appliquer ce mot à autre chose qu’à ce qui n’a absolument aucune limite, c’est-à-dire au Tout universel qui inclut en soi toutes les possibilités, et qui, par suite, ne saurait être en aucune façon limité par quoi que ce soit »
  • Indéfini : mot proposé et utilisé par R. Guénon pour parler de toute quantité pouvant se développer dans une mesure dépassant nos perceptions mais limitée par sa nature, tels l'espace, le temps ou le nombre. Les « infinis mathématiques » sont « indéfinis », ils sont parfois nommés par cet auteur des « indéfinités ». « Nous disons que l’indéfini ne peut pas être infini, parce que son concept comporte toujours une certaine détermination, qu’il s’agisse de l’étendue, de la durée, de la divisibilité, ou de quelque autre possibilité que ce soit ; en un mot, l’indéfini, quel qu’il soit et sous quelque aspect qu’on l’envisage, est encore du fini et ne peut être que du fini ».
  • Existence et contingence vs possibilité et réalité : l'existence qui est le monde physique ou la nature au sens le plus général de ces mots, n'est que contingence ; elle ne possède aucune réalité profonde. En transformation permanente elle n'est qu'illusion  : le présent est insaisissable, le passé qui n'est plus ne peut être la cause véritable (la « raison d'être » ou « raison suffisante ») d'un futur qui n'est pas encore. D'après R. Guénon la réalité profonde d'une chose, d'un être, est liée à sa possibilité, tout ce qui est possible (comprendre sans contradiction, sans absurdité) est réel. La réalité d'un fait tient donc à sa possibilité et pas à son existence, et d'une façon générale, métaphysique, la réalité de l'« Existence » lui vient de sa possibilité, non pas du constat quotidien qui en est fait. « Toute distinction de lieu ou de temps est illusoire ; la conception de tous les possibles (compris synthétiquement dans la Possibilité universelle, absolue et totale) se fait sans mouvement et hors du temps (Lie-tseu, ch. III ; traduction du P. Wieger, p. 107) »
  • Universel et individuel : « Les « pseudo-métaphysiciens » de l’Occident ont pour habitude de confondre avec l’Universel des choses qui, en réalité, appartiennent à l’ordre individuel ; ou plutôt, comme ils ne conçoivent aucunement l’Universel, ce à quoi ils appliquent abusivement ce nom est d’ordinaire le général, qui n’est proprement qu’une simple extension de l’individuel. Certains poussent la confusion encore plus loin : les philosophes « empiristes », qui ne peuvent pas même concevoir le général, l’assimilent au collectif, qui n’est véritablement que du particulier ; et, par ces dégradations successives, on en arrive finalement à rabaisser toutes choses au niveau de la connaissance sensible, que beaucoup considèrent en effet comme la seule possible, parce que leur horizon mental ne s’étend pas au delà de ce domaine et qu’ils voudraient imposer à tous les limitations qui ne résultent que de leur propre incapacité, soit naturelle, soit acquise par une éducation spéciale. (L’Homme et son Devenir selon le Vêdânta, René Guénon, éd. Éditions Bossard, 1925).

Résumé :

Toutes les doctrines ésotériques insistent sur les différents états spirituels au travers desquels, par l’initiation, l’être individuel va vers l’Être absolu, origine et fin de la manifestation. Cet ouvrage est avec Le Symbolisme de la Croix et l'Homme et son devenir selon le Vêdânta, le troisième que René Guénon consacre essentiellement à la métaphysique et notamment à la théorie des états multiples dont il avait fait une démonstration géométrique dans son précédent ouvrage. Il en est le complément approfondi pour ce qui est de l'Être envisagé sous son aspect humain, tout en rappelant à cet égard que "l'état humain n'est qu'un état de manifestation comme tous les autres et parmi une indéfinité d'autres. Il se situe dans la hiérarchie des degrés de l'Être à la place qu'il lui est assigné par sa nature même (... ) sans qu'il soit supérieur ou inférieur aux autres états de l'Être."

Dans Les états multiples de l'être, René Guénon développe les notions d'Infini (qui est désigné, sous son aspect potentiel par le terme de Possibilité universelle), de manifestation universelle (sous un aspect personnel : l'Être) et de non-manifestation (le Non-Être).

Le non-être est par définition l'absence d'état et d'existence, par opposition à « l'être ». S'il est souvent synonyme de néant pour ceux qui mettent toute la réalité dans l'existence, pour d'autres auteurs l'existence n'étant qu'une réalité parmi une infinité d'autres, le non-être représente ces autres possibilités. Bien qu'inaccessible à notre compréhension il est alors beaucoup plus que l'être. Le terme de Non-Être n'est pas le Néant et ne doit pas être pris dans un sens privatif, comme l'indice d'un manque ou d'une absence, mais au contraire comme signifiant l'au-delà de l'Être. Ce sont essentiellement les états de non-manifestation qui assurent à l’être la permanence et l’identité.

En effet, la manifestation universelle, c'est-à-dire la « Nature » au sens le plus vaste et le plus universel que l'on puisse donner à ce terme, correspond à l'expression de toutes les possibilités susceptibles d'exister, et notre propre monde n'est que l'une d'entre elles. Mais, à côté des possibilités de manifestation, il faut envisager les possibilités de non-manifestation, et « si l'on demandait cependant pourquoi toute possibilité ne doit pas se manifester, c'est-à-dire pourquoi il y a à la fois des possibilités de manifestation et de non-manifestation, il suffirait de répondre que le domaine de la manifestation, étant limité par là même qu'il est un ensemble de mondes ou d'états conditionnés [...], ne saurait épuiser la Possibilité universelle dans sa totalité : il laisse en dehors de lui tout l'inconditionné, c'est-à-dire précisément ce qui, métaphysiquement, importe le plus. »

Le Non-Être représente donc l'ensemble des « possibilités de non-manifestation, avec les possibilités de manifestation elles-mêmes en tant qu'elles sont à l'état non-manifesté  et l'Être lui-même s'y trouve inclus, car, ne pouvant appartenir à la manifestation, puisqu'il en est le principe, il est lui-même non-manifesté. » Guénon prend comme métaphore les rapports du silence et de la parole pour illustrer son propos : « Comme le Non-Être, ou le non-manifesté, comprend ou enveloppe l'Être, ou le principe de la manifestation, le silence comporte en lui-même le principe de la parole ; en d'autres termes, de même que l'Unité (l'Être) n'est que le Zéro métaphysique (le Non-Être) affirmé, la parole n'est que le silence exprimé ; mais, inversement, le Zéro métaphysique, tout en étant l'Unité non-affirmée, est aussi quelque chose de plus (et même infiniment plus), et de même le silence, qui en est un aspect au sens que nous venons de préciser, n'est pas seulement la parole non-exprimée, car il faut y laisser subsister en outre ce qui est inexprimable, c'est-à-dire non susceptible de manifestation... » (Les États multiples de l'être, p. 29).

L’Existence, dans son « unicité » même, comporte une indéfinité de degrés, correspondant à tous les modes de la manifestation universelle (laquelle est au fond la même chose que l’Existence elle-même) ; et cette multiplicité indéfinie des degrés de l’Existence implique corrélativement, pour un être quelconque envisagé dans le domaine entier de cette Existence, une multiplicité pareillement indéfinie d’états de manifestation possibles, dont chacun doit se réaliser dans un degré déterminé de l’Existence universelle. Un état d’un être est donc le développement d’une possibilité particulière comprise dans un tel degré, ce degré étant défini par les conditions auxquelles est soumise la possibilité dont il s’agit, en tant qu’elle est envisagée comme se réalisant dans le domaine de la manifestation.

« Les êtres particuliers peuvent à la fois se déterminer (en tant que chacun d’eux possède une certaine unité, d’où une certaine liberté, comme participant de l’Être) et être déterminés par d'autres êtres (en raison de la multiplicité des êtres particuliers, non ramenée à l’unité en tant qu’ils sont envisagés sous le point de vue des états d’existence manifestée). L’Être universel ne peut être déterminé, mais il se détermine lui-même ; quant au Non-Être, il ne peut ni être déterminé ni se déterminer, puisqu’il est au-delà de toute détermination et n’en admet aucune.

On voit, par ce qui précède, que la liberté absolue ne peut se réaliser que par la complète universalisation : elle sera « auto-détermination » en tant que coextensive à l’Être, et « indétermination » au-delà de l’Être. Tandis qu’une liberté relative appartient à tout être sous quelque condition que ce soit, cette liberté absolue ne peut appartenir qu’à l’être affranchi des conditions de l’existence manifestée, individuelle ou même supra-individuelle, et devenu absolument « un », au degré de l’Être pur, ou« sans dualité » si sa réalisation dépasse l’Être. C’est alors, mais alors seulement, qu’on peut parler de l’être « qui est à lui-même sa propre loi », parce que cet être est pleinement identique à sa raison suffisante, qui est à la fois son origine principielle et sa destinée finale.

Lorsque cet « ésotérisme » est méconnu, la civilisation, n’étant plus rattachée directement aux principes supérieurs par aucun lien effectif, ne tarde pas à perdre tout caractère traditionnel, car les éléments de cet ordre qui y subsistent encore sont comparables à un corps que l’esprit aurait abandonné, et, par suite, impuissants désormais à constituer quelque chose de plus qu’une sorte de formalisme vide ; c’est là, très exactement, ce qui est arrivé au monde occidental moderne » (Les États multiples de l'être, p. 71 - 72).

Le non-être en philosophie :

Le non-être n'est pas le néant, si l'on entend par néant la simple absence d'être (l'idée de néant ne surgit qu'après coup, de façon imaginaire, comme suppression de l'être). Au sens le plus fort, le non-être est la part de négativité qui est présente dans le réel ou bien le pouvoir de négation qui appartient à l'esprit. 

  • Socrate : s’opposa à l’assimilation d’être et vérité, mais sa critique était générale : il n’y a pas d’assimilation entre les deux notions tout simplement parce que l’être est remplacé par le paraître et le fondement du paraître c’est la sensation. À chacun sa sensation, à chacun sa vérité. L’expression « le non-être » (ou « ce qui n’est pas ») n’a pas de sens ; par conséquent, tout discours qui prétendrait dire ce qui n’est pas est impossible.
  • Platon : par réaction contre une conception de l'être pur (Parménide), a découvert que l'être est pénétré de non-être : grâce à quoi peuvent s'expliquer l'altérité, le jeu des relations entre le même et l'autre, la démarche d'attribution qui permet d'affirmer qu'un sujet est ceci et n'est pas cela. Il y a ainsi une fonction logique du non-être, fondée sur une fonction ontologique (ou sur une négation intérieure à l'affirmation du réel).
  • Les néo-platoniciens : (Plotin, Proclus, Damascius) ont approfondi la notion de non-être. Ils l'ont appliquée au principe radical de la réalité. Ce principe est non-être, parce qu'il est indéterminé, indéterminable, tandis que l'être, premier dérivé du principe, est la totalité des déterminations. En exaltant la « puissance du négatif »,
  • Hegel : admet à son tour une fonction du non-être ; mais il pense que toutes les différences se réintègrent et s'équilibrent dans le tout du savoir absolu, couronnement de la dialectique. En professant la distinction de l'être et de l'étant.
  • Heidegger : tend, malgré son vocabulaire, à irréaliser le premier pour mieux enfermer le second dans la finitude (entre l'être heideggérien et le non-être néo-platonicien, on décèle des affinités mais non avouées, non voulues).  
  • Sartre : de son côté, sous le nom de néant, prend en thème la liberté et en fait une négation de l'être. Ces notations, qui concernent la seule pensée occidentale, ne peuvent faire oublier que la pensée orientale (upanisad, bouddhisme) met la priorité dans la méditation sur le non-être : elle encourage une visée du n'être pas qui, par renoncement lucide, serait salut et délivrance.