La Quête & la Règle ...
La Tradition s’exprime de deux manières différentes et complémentaires : c’est d’une part l’évolution d’un état d’esprit, l’idée de décadence, et d’autre part un courant intellectuel et philosophique.
- Quelle est la place d'un Ordre initiatique dans le monde moderne?
- Cela a-t-il encore un sens aujourd’hui?
- Avant de se demander quelle est la place d’un ordre initiatique, il serait judicieux de commencer déjà par se demander ce qu’est un ordre initiatique?
L’Ordre n’existe que par la Règle
Un Ordre au sens traditionnel du terme ne peut exister que s’il existe une Règle (en latin « regula » ; de « regere », diriger), c’est à dire : une méthodologie qui le dirige. La Règle maçonnique symbolise la Loi morale à laquelle le Franc-Maçon, lors de son initiation a juré fidélité pour le restant de sa vie. Elle consiste à rester fidèle aux règlements et statuts de l’Obédience, à pratiquer activement la Concorde et la Fraternité, à travailler activement à son perfectionnement moral et intellectuel, à étudier, sans préjugé, tous les aspects de la Tradition et à porter en soi, activement, dans le monde profane la Lumière qui a éclairé les travaux en Loge. Cette Règle doit être naturellement intégrée à l'esprit initiatique car lorsqu'on a perdu la Règle, il ne reste plus que les règlements ... Et cela, n'est plus initiatique.
L’originalité de la franc-maçonnerie par rapport aux autres associations et institutions humaines tient à sa nature de société initiatique et à ses méthodes de travail. Elle n’est ni une secte (car elle n’a pas de doctrine à imposer aux autres hommes, ni un parti car elle ne cherche pas à conquérir le pouvoir), ni une Église, car, si elle se veut universelle, son prosélytisme est limité et n’exclut aucune croyance.
L’initiation, dont les épreuves permettent au profane de devenir apprenti, puis d’accéder aux grades de compagnon et de maître, revêt à la fois une signification symbolique (la renonciation aux habitudes du monde profane et la découverte de la « Lumière ») et une valeur éducative (la préparation au langage des symboles). Il ne s’agit pas de la révélation mystique de quelque absolu ésotérique, mais, plus simplement et sagement, de l’acquisition des moyens et des instruments de la recherche maçonnique. Plus qu’une simple cérémonie de réception, l’initiation engage le maçon à se libérer de ses préjugés, à se dépouiller de ses passions et à prendre une meilleure mesure de ses forces spirituelles et morales.
L’idéal maçonnique
Ce qui distingue le maçon dans la société nouvelle, c’est précisément son initiation ; et notamment les symboles. Que représentent-ils, dès lors, en valeur absolue ? En quoi cette Initiation maçonnique, avec sa symbolique, peut-elle nous aider ?
L’Initiation est surtout un acte d’acquisition spirituelle personnelle. Par elle, le profane doit laisser à l’entrée du Temple tous ses métaux, c’est à dire rejeter les erreurs et les préjugés du monde extérieur, se mettre à l’unisson d’un amour universel, se dégager des obstacles créés par la passion, ne plus tenir en considération les religions, les races, les castes, les clans politiques, les chapelles religieuses.
Cette initiation le rend membre d’une association dont l’angoisse est d’abord et avant tout l’amélioration matérielle et morale de tous les hommes. Libéré par ses symboles, le maçon ne veut plus obéir à un impératif quelconque s’il est d’obligation et étranger à sa conscience. Il méditera sur tout et n’admettra que ce qui lui semblera valable, son critère restant l’amour fraternel de tous les hommes.
Le résultat est que l’initié est dégagé des dogmes qui tuent l’âme, la dessèche, et qui aboutissent nécessairement à l’intolérance, cette source des heurts sociaux, des guerres et des exclusives.
Le maçon doit vivre son initiation, aidé par ses symboles. Renan disait : « Tout ici-bas n’est que symbole ». L’homme du XXIe siècle, à tout moment, sans qu’il s’en doute, nage dans un océan de symboles. Le mathématicien, le physicien, le scientifique, le technicien ont comme instrument de travail leur symbolisme propre. Le maçon aussi a ses rites et symboles, sources de son initiation.
Le point important, c’est que ce symbolisme est à l’inverse du dogme. Or le dogme est le frein essentiel au progrès spirituel. Dans notre siècle de progrès constant, la symbolique maçonnique par l’Initiation se doit de contribuer à ce progrès par le dedans. Essentiellement progressiste, la Franc-Maçonnerie ne peut faillir à ce devoir de promotion humaine.
Le dogme est un symbole qui s’est sclérosé, dévitalisé. Il est imposé comme vérité intangible à des adeptes dont on requiert avant tout l’obéissance aveugle, la foi. On inculque à d’autres des vérités, considérées comme telles par un petit nombre. La faculté de penser, dans ces conditions, est l’apanage d’une caste.
C’est ce que nous constatons dans les symboles et rites religieux. Au départ, l’idée symbolique, vécue par chacun, était une vérité vivante, admise par chacun des adeptes. Dans un deuxième temps, cette idée est devenue une sorte de réflexe conditionné ; à l’église, au Temple, le symbole a créé une attitude rituelle qui est devenue l’essentiel, à la place de l’Idée, peu à peu oubliée.
C’est cela qu’il nous faut éviter ; c’est par là que la symbolique maçonnique peut aider à la véritable Initiation vécue.
Quelle place cet Ordre initiatique peut-il avoir dans le monde d’aujourd’hui, si narcissique ? Sa mission peut être définie de la manière suivante. Chaque Franc-Maçon doit d’abord construire en lui un Temple qui doit être son propre chef d’œuvre. Un Temple par définition est le réceptacle du Sacré, c’est le Graal.
Pour cela, il faut vaincre l’ignorance, l’orgueil et le fanatisme, les trois démons de l’Homme. Nos symboles et nos rituels sont les outils qui permettent cette réalisation.
Cette construction mentale permet à l’initié d’approcher une sérénité symbolisée par la Sagesse, la Force et la Beauté qui lui permettra de participer au chantier en apportant sa pierre. Ce chantier est la construction du Temple de l’Humanité.
Par l’initiation, l’Ordre maçonnique éveille des hommes liés entre eux par l’idéal maçonnique qui est d’améliorer la condition humaine en l’affranchissant des dogmes et des égoïsmes qui asservissent l’humanité. Voilà essentiellement ce que doivent combattre tous les Francs-Maçons de toutes obédiences sur la surface du globe.
C’est cet idéal humaniste qui semble être l’essentiel de l’œuvre maçonnique et s’il est important de ne pas le perdre de vue, il encore plus important de le défendre dans le monde profane. Cela prend tout son sens, aujourd’hui, où des libertés fondamentales peuvent être notamment sacrifiées sur l’hôtel de la lutte contre le terrorisme. Jusqu’où irons nos concessions alimentées par nos peurs nombrilistes et égoïstes de nantis?
Les mythes fondateurs
Les mythes fondateurs de la Franc-Maçonnerie prennent leurs sources dans la tradition hermétique issue des anciens égyptiens et des arabes. Orphiques et pythagoricienne, héritage de la période hellénistique. Puis Kabbaliste avec l’apport hébraïque et Johannite gnostique avec le christianisme primitif. Ces mythes se nourrissent des légendes bibliques et notamment hiramiques.
De ce point de vue, notre Ordre traditionnel initiatique a toujours sa place dans le monde moderne car la tyrannie, le mensonge, la désinformation et le fanatisme sont toujours d’actualité. La technologie moderne a été un levier considérable pour aveugler, désinformer et maintenir les foules dans l’ignorance et le fanatisme. Or aujourd’hui, on s’aperçoit, au Moyen Orient, par exemple, que ces mêmes technologies de l’information ont été le vecteur principal de la révolte et d’une prise de conscience de l’état d’asservissement.
Les valeurs sont en pleine mutation à travers la globalisation et le métissage ethnique, social et mental. Des mythes fondateurs nouveaux apparaissent à travers l’Internet et les réseaux sociaux. On peut les deviner en filigrane dans la littérature, le cinéma, les médias. Il est du devoir de la Franc-Maçonnerie de s’en inquiéter de les identifier, de les étudier et de s’adapter à la réalité pour poursuivre son œuvre.
Dans notre société actuelle, marquée par la prédominance de l'activité communicationnelle, la réappropriation des rites, des mythes et des symboles qui leur sont liés est flagrante. Le « donné social », avec lequel chacun va structurellement compter, favorise l'engagement organique des uns envers les autres. C'est-à-dire une forme de tribalisme, voire de communautarisme. Cela influence fortement le « vivre ensemble » ou le « vivre pour soi ».
Les temps changent et les modèles évoluent sous l’influence de nouveaux mythes fondateurs antisociaux tels que le narcissisme, le nombrilisme, l’égoïsme ou l’apologie de l'hédonisme et celle de l'argent facile.
Les conséquences sociales en Europe sont flagrantes, le monde anglo-saxon a déjà subi cet effet il y a vingt ans. Les membres des associations vieillissent, il y a toujours plus de Loges et moins de maçons par Loge … La statistique est implacable. Le nombre de maçons à Lausanne est le même qu’il y a cinquante ans mais le nombre de Loges a plus que doublé, toutes obédiences confondues.
Le constat est que l'engagement personnel et le don de Soi n'est plus à la mode. Le monde moderne, basé sur le professionnalisme et la peur de perdre son emploi a exclu des préoccupations la générosité et la compassion. Le nombrilisme et l'égoïsme sont aussi encouragés par l'illusion de la paix sociale et la sécurité qui règnent en Europe depuis près de cinquante ans. Ce qui a tendance à faire oublier les fantômes du passé et notamment l'initiative Fonjallaz, (initiative populaire suisse : «Interdiction des sociétés franc-maçonniques», rejetée par le peuple et les cantons le 28 novembre 1937).
L'espérance n'est plus à la mode. Après les lendemains qui chantent, le nombrilisme et vivre au jour le jour est devenu la donne. Espérer est considéré comme rêver. Comme spéculer sur un futur impossible. Le pessimisme est de rigueur et espérer n'est plus sérieux. Pourtant, l'espérance c'est d'abord le présent où se crée le futur. Une confusion est à l'origine de cette attitude. Lorsque l'impatience est associée à l'espérance, on a le totalitarisme.
C'est ce qui différencie les idéologies des vertus théologales. L'espérance doit être associée à la foi et à la charité.
C'est à ce niveau que les mythes fondateurs de la Franc-Maçonnerie prennent toute leur importance. L'homme est non seulement conscient au sens de l’animal, mais il se pense lui-même, se connaît dans une représentation de lui-même qu'il constitue par concepts et il se connaît dans des concepts. Le concept est l'idée générale et la représentation est le tissu formé avec les concepts.
D’où cette quête ontologique du Verbe originel, de la Parole perdue, celle de l’être étant en soi, celle qui est propre à soi avant de pouvoir parler et d’être en communication sociale, formatrice, éducatrice, etc.
Cette parole source ne peut se comprendre que dans la raison pure de la logique formelle mais aussi dans la raison analogique de l’intuition et de la conscience d’être étant, dans cette forme de logique archaïque qu’est le symbolisme ésotérique véhiculé par les plus anciennes Traditions de l’Humanité.
Mieux se connaître pour mieux gérer sa vie
" Connais-toi toi-même et tu connaîtras l'Univers et les dieux " est l'inscription que l'on pouvait lire sur le fronton du temple de la pythie de Delphes et que Socrate a adoptée pour devise.
Une telle phrase est pleine de promesses pour le franc-maçon en quête de spiritualité car elle lui fait prendre conscience que la connaissance parfaite de soi-même donne confiance en soi et permets de connaître ses forces et ses faiblesses, ses talents et ses défauts. Cette connaissance de ses propres limites est fondamentale car elle permet de développer ses qualités, de choisir sa voie et finalement de trouver sa véritable identité et, au fond, sa liberté.
Cette découverte qu’offre l’initiation par la connaissance de soi permet non seulement de gérer sa vie au sens d’avoir pu trouver son vrai chemin, mais comme le signale le rituel, de pouvoir faire profiter aux autres de cette Lumière qui brille en nos cœur, souvenir de nos travaux dans le Temple.
Cette Lumière que nous pouvons offrir est la somme des valeurs accumulées et forgées dans notre quête de sens. C’est aussi, l’héritage humaniste de la franc-maçonnerie et c’est enfin, la capacité d’aimer les hommes nos frères et la vie dans sa beauté car nous avons pris conscience dans le chemin initiatique que nous faisons partie d’un tout et de cette connaissance naît la compassion, l’empathie et le respect de soi et des autres.
Gérer sa vie, c’est surtout gérer ses rapports avec les autres. Si le fil-à-plomb nous a aidés dans notre introspection, le niveau est la clé du rapport avec les autres. La vie est trop courte pour la dilapider dans la haine de l’autre et Martin LUTHER KING a pu dire for justement que : « Nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères, sinon nous mourrons ensemble comme des idiots. ».
Loge René Guénon, à l’Or.·. de Lausanne, 2013.